L’argent selon Marshall Rosenberg, le père de la Communication NonViolente
Dans une vidéo inspirante, Marshall nous livre sa conception de l’argent, radicalement différente de la façon habituelle de fonctionner avec l’argent. J’en ai fait une transcription que j’ai remaniée et résumée.
Cette pensée bousculante peut se résumer en 3 points essentiels :
1. Ne payez jamais pour quoi que ce soit : recevez ce dont vous avez besoin, et donnez de l’argent pour aider, soutenir, contribuer
2. Ne vous faites jamais payer pour quoi que ce soit : faites ce que vous voulez faire, qui a du sens pour vous et qui est utile à d’autres, et recevez une contribution financière qui vous aide, qui vous soutient
3. Transformez le concept de valeur : sortez de votre tête que quoi que ce soit vaut une certaine somme d’argent
Débarrassez-vous du mot « payer »
Nous ne voulons jamais payer pour quoi que ce soit, ni que quoi que ce soit nous coûte. Ne payez plus jamais pour quoi que ce soit.
→ Donnez de l’argent : donnez le pour servir la vie de la façon que vous voulez.
Inversement, ne vous faites jamais payer pour quoi que ce soit. Nous ne voulons pas que l’argent que nous recevons nous soit donné en paiement, ni que ça coûte à la personne qui nous le donne.
→ Demandez aux gens de contribuer, de vous donner de l’argent pour vous aider à faire ce que vous voulez faire.
Ne dites jamais « je vous donnerai ce que je fais, ce qui a de la valeur pour moi (seulement) si vous me donnez de l’argent ». Dites « je serai heureux de vous donner ce que j’ai à offrir, ET j’aimerais que vous me donniez de l’argent, pour m’aider à ce que je puisse continuer à donner à d’autres ».
Ne faites jamais rien pour de l’argent
N’exercez pas votre activité, n’offrez pas vos services sous la condition qu’on vous paie. Soyez clair à ce propos. Ne faites jamais rien pour de l’argent. Demandez à recevoir de l’argent pour que vous puissiez faire ce que vous voulez faire. Vous voyez la différence ? Faites ce qui pour vous a du sens, ce qui nourrit votre besoin de sens et de contribution. Et recevez l’argent qui vous est nécessaire pour le faire. Ne faites jamais quoi que ce soit pour de l’argent. La vie est trop courte.
Demander de l’argent
Donc, je demande de l’argent. Je ne me fais pas payer. Je demande de l’argent pour m’aider à faire ce que je veux faire. Si ce que je fais enrichit la vie de quelqu'un, j’aimerais que cette personne me donne de l’argent avec l’intention de me soutenir, pour que je puisse continuer à donner à d’autres ce que je fais, et ainsi continuer à servir la vie.
Anecdote
C’est relativement difficile de parler d’argent. Dans une compagnie dans laquelle je travaillais en Suisse, un manager a demandé à me parler.
- J’aimerais que vous animiez une formation chez nous. Combien vous voulez qu’on vous paie ?
- Je ne me fais pas payer. Mais je serais heureux de vous dire ce que j’aimerais recevoir, et j’aimerais savoir ce que vous auriez de la joie à me donner. Et s’il y a une différence, je suis sûr qu’on pourra régler ça.
- Je pensais bien que vous diriez quelque chose du style. Et j’aime vraiment ça. Mais dans cette compagnie, si je vais voir mon supérieur, il voudra juste savoir combien vous payer. Je ne saurai pas comment lui expliquer ça.
- Écoutez, je vais vous dire ce que je veux, et vous, vous me direz si vous voulez que je vienne faire le travail. La façon dont vous voulez appréhender l’argent dans votre compagnie, c’est votre affaire.
- Ok ok, que voulez-vous ?
Je lui dis la somme que je voulais, et il me répliqua :
- Ah, c’est un problème. Si je vais voir mon supérieur et que je lui dis que vous voulez cette somme, il pensera que vous ne valez rien : la plupart de nos consultants demandent trois fois plus !
- Écoutez, si vous voulez me donner trois fois plus, je le prendrai. Je veux juste que vous sachiez que je ne fais rien pour de l’argent. Je peux même faire ça pour votre compagnie sans recevoir d’argent d’elle, parce que d’autres me donnent de l’argent.
La compagnie lui a alors donné trois fois plus que ce qu’il demandait.
Ne faites jamais rien pour de l’argent
Quand je travaille dans certains pays, des gens me demandent de l’argent, pour pouvoir recourir à mes services ou venir à mon séminaire, et nourrir leur famille. En Sierra Leone par exemple, où beaucoup de gens gagnent au jour le jour ce qui leur permet de subvenir à leurs besoins, s’ils viennent à mon séminaire, ce jour-là, leur famille ne mangera vraisemblablement pas. Je donne donc de l’argent à ces gens pour qu’ils viennent à mes séminaires. Et si je peux faire ça, c’est parce que dans d’autres pays, des gens me donnent de l’argent.
Donc, ne faites jamais rien pour de l’argent. Faites ce qui pour vous a du sens, ce qui nourrit votre besoin de sens, et demandez l’argent dont vous avez besoin pour le faire.
D’autres fois, des gens veulent me donner pour que je puisse continuer à faire ce que je fais, mais ils n’ont pas d’argent. Et dans ce cas, il y a plein de choses qu’ils peuvent faire pour prendre soin de mes besoins, autrement qu’en me donnant de l’argent. Donc je leur dis ce qu’ils peuvent concrètement faire qui rencontrerait mes besoins. Et d’habitude, nous trouvons un moyen. L’argent n’est qu’un des multiples moyens de satisfaire nos besoins.
Voici maintenant ce que je comprends du message de Marshall, avec quelques compléments :
Donner
Offrir son travail
Faire ce qui a du sens pour nous, ce qui nourrit notre besoin de sens. Il y a une profonde perte de sens dans le monde du travail. Des gens partent en « brown-out » (moins connu que le burn-out) : perte d’intérêt pour ce qu’ils ont à faire, activités peu valorisantes dans lesquelles leurs compétences sont inutiles ou sous-employées, ou en contradiction avec leurs valeurs. Devenu absurde, leur travail perd tout son sens. Ils se démotivent, se désengagent, s’épuisent, dépriment, on pourrait même dire, meurent à petit feu…
Marshall recommande donc d’arrêter de travailler et même de faire quoi que ce soit si c’est pour de l’argent. Exit les métiers dits « alimentaires ». Vous gaspillez votre vie, et vous risquez en plus de vous perdre, de perdre votre identité en faisant des choses qui sont profondément contraires à qui vous êtes. Ne vous travestissez pas pour de l’argent. Comme il dit « la vie est trop courte ».
Offrir de l’argent
Donner de l’argent non pas à partir d’un sentiment d’obligation (je dois payer, ça me coûte, etc.) mais avec élan, dans l’intention de soutenir, remercier, contribuer pour la personne qui nous offre ce qui a de la valeur pour nous, et contribuer financièrement pour lui permettre de continuer à faire ce qu’elle fait, de continuer à donner à d’autres.
D’ailleurs, si on y réfléchit bien : quand on achète un pain, l’argent nécessaire à sa production a été donné par d’autres avant nous, et a déjà été utilisé. L’argent qu’on donne va servir à produire le pain pour la prochaine fournée. De coup, on pourrait donner avant l’argent qui est nécessaire pour produire ce dont on a besoin. Par précommande, par exemple de paniers de légumes, système AMAP, financement participatif, ou d’autres systèmes à inventer.
Recevoir
Recevoir de l’argent
Actuellement, la norme c’est qu’on doit dépenser de l’argent, payer, pour pouvoir accéder à un service, à des biens matériels ou des denrées alimentaires.
Marshall suggère qu’on change de paradigme. Qu’on se mette à donner gratuitement notre production et de décorréler ce qu’on donne de l’argent qu’on reçoit : recevoir de l’argent non pas en paiement, mais en soutient pour subvenir à nos besoins personnels (logement, nourriture, etc.) et de financement de nos activités. Recevoir de l’argent pour faire et pouvoir continuer de faire ce qui a du sens pour nous et qui est perçu comme utile, qui a de la valeur pour ceux qui sont contents de recevoir ce qu’on a à offrir.
Recevoir gratuitement
En voilà un gros thème ! Est-on encore capables de recevoir gratuitement, sans culpabiliser, sans se sentir redevable ?
Donner par élan, sans culpabilité ni obligation
Évidemment que si on ne reçoit pas d’argent, on va être se retrouver limités dans nos activités. Un équilibre doit donc être trouvé entre ce qu’on donne via nos activités, et l’argent qu’on reçoit. Mais il est très important, dans le paradigme de la CNV, de donner avec le « l’esprit d’un enfant qui donne à manger à un canard ». C’est un pur élan. L’enfant donne gratuitement en fonction de ses moyens. L’adulte mature peut, en principe, mieux se prendre en compte et donner consciemment, avec l’élan naturel de contribution, sans s’oublier, sans donner d’une manière qui lui coûte, c’est à dire sans se démunir d’une manière qui lui porte préjudice ou va le mettre en danger (chacun ayant bien sûr sa propre perception du danger et sa manière de prendre soin de sa sécurité).
Interdépendance
Il est important de donner de l’argent avec élan. Et je rajouterai, avec cette conscience que nous vivons en interdépendance les uns avec les autres, et que l’argent qu’on donne permet de maintenir l’équilibre systémique nécessaire entre le donner et le recevoir.
Et j’insiste à nouveau : il ne s’agit pas de retomber dans un « je DOIS » contribuer, mais de le faire en se connectant à cette interdépendance dont je fais partie et dans laquelle je joue un rôle, TOUT EN prenant en compte les moyens que j’ai actuellement. Je donne donc (ou pas) en fonction de mes moyens. Et peut-être que j’aimerais pouvoir donner plus mais que mes moyens financiers actuels ne le permettent pas. Je peux faire le deuil aujourd’hui de ne pas pouvoir vivre mon besoin de contribution autant que j’aimerais. Et dans le futur, quand j’aurai plus de moyens, je pourrais célébrer que je peux contribuer davantage et le faire avec grand plaisir.
Et moi ?
En ce qui me concerne, je me trouve un peu à cheval entre ces deux paradigmes. Je construis petit à petit un rapport à l’argent singulier qui, avec ses limites, me permet de fonctionner avec l’argent, de m’inscrire dans l’économie et la société d’une manière qui soit le plus possible en accord avec mes valeurs. Et ça évolue avec le temps, les rencontres que je fais, mes expériences, ce que j’apprends… Ce n’est donc pas un modèle abouti et figé que je peux vous donner pour que vous l’appliquiez.
Je pense qu'il est bien plus au service de vous aider à faire l’état des lieux de votre propre relation à l’argent, et de vous accompagner pour transformer ce que vous jugerez utile de transformer, pour vivre et agir de la façon la plus heureuse et la plus sereine possible.